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La courbe de Gatsby et son impact sur l’économie moderne

Un chiffre suffit à déranger les certitudes : dans certains pays riches, il faudrait six générations pour qu’un enfant né pauvre atteigne le revenu moyen. Voilà l’effet pervers de la courbe de Gatsby, ce miroir tendu à nos sociétés qui aiment se raconter la fable du mérite.

La mobilité sociale s’est grippée dans la plupart des économies développées, alors que la croissance ne faiblit pas. Selon l’OCDE, près d’un enfant sur deux hérite aujourd’hui de la position économique de ses parents. Cette mécanique, que la “courbe de Gatsby” met en lumière, dessine une relation inattendue : plus les inégalités augmentent, plus les chances de changer de condition s’amenuisent d’une génération à l’autre.

Les dispositifs publics, même les plus volontaristes, n’ont pas renversé la vapeur. Un tableau s’impose : là où la société est la plus inégalitaire, l’ascenseur social reste bloqué à l’entre-sol. L’idéal méritocratique s’effrite, grignoté par la réalité des chiffres.

La courbe de Gatsby : origine, définition et portée contemporaine

La courbe de Gatsby trouve ses racines dans les analyses de Miles Corak au début des années 2010, puis dans les travaux d’Alan Krueger. Leur source d’inspiration : le roman de Fitzgerald, où les rêves d’ascension sociale se heurtent aux murs invisibles de l’héritage. Sur le papier, la courbe relie deux mesures : le coefficient de Gini, qui évalue l’ampleur des inégalités de revenus, et l’élasticité intergénérationnelle des revenus, qui révèle à quel point la naissance conditionne le destin économique.

Le constat de cette courbe est sans appel : les sociétés les plus inégalitaires offrent le moins de mobilité sociale. La fortune, le réseau, le patrimoine, se transmettent et ferment la porte à l’improvisation des destins. Les États-Unis, jadis érigés en parangon de la méritocratie, incarnent désormais ce paradoxe. À l’opposé, les pays scandinaves, grâce à leur faible Gini, affichent une mobilité intergénérationnelle plus forte : l’ascenseur, ici, n’est pas tout à fait hors service.

Les discussions actuelles sur la portée de la courbe se multiplient. L’OCDE, le FMI, mais aussi des économistes comme Thomas Piketty, questionnent la capacité des démocraties à freiner la reproduction sociale. La courbe de Gatsby devient un instrument pour mesurer l’urgence : comment garantir que le sort des enfants ne soit pas scellé avant même d’entrer à l’école ?

Pourquoi la mobilité sociale reste-t-elle un défi dans les économies avancées ?

La mobilité sociale recule, même là où la croissance s’affiche. Le diagnostic est partagé : l’OCDE met en garde contre la persistance des inégalités dans des sociétés qui se pensaient ouvertes. Aux États-Unis, la promesse d’ascension s’évapore. La France n’est pas épargnée, lestée par l’influence du patrimoine dans la reproduction des positions sociales.

Les travaux de Thomas Piketty éclairent ce verrouillage : la richesse, transmise de génération en génération, freine la dynamique sociale. Même les pays scandinaves, longtemps cités en exemple, commencent à voir leur modèle s’effriter, même si la mobilité y résiste davantage grâce à des politiques publiques plus protectrices.

Plusieurs facteurs alimentent ce phénomène :

  • La flambée de l’immobilier rend l’accès à la propriété de plus en plus difficile.
  • Les écarts de réussite scolaire s’accentuent, exacerbés par des quartiers qui se referment sur eux-mêmes.
  • La transmission du capital culturel et financier donne à certains une longueur d’avance dès le départ.

Le FMI et l’OCDE soulignent l’enjeu de la fiscalité et de l’accès à l’éducation, sans oublier les discriminations structurelles qui entravent le marché du travail. L’économie d’aujourd’hui, façonnée par l’innovation et la mondialisation, semble renforcer la polarisation. Face à ce constat, la courbe de Gatsby s’affirme comme un outil de mesure : l’égalité des chances n’est jamais acquise, elle s’arrache.

Groupe de jeunes professionnels autour d

Des pistes pour repenser l’égalité des chances à l’ère des inégalités persistantes

L’écart entre la promesse d’égalité des chances et la réalité sociale ne se réduit pas par la seule croissance économique. Les économistes sont clairs : il faut agir sur plusieurs fronts à la fois. Les rapports de l’OCDE et du FMI identifient des leviers concrets, souvent laissés de côté par les décideurs.

Parmi les solutions mises en avant, on retrouve :

  • La fiscalité progressive revient au cœur du débat : taxer le capital, alléger la charge sur le travail, repenser l’impôt sur les successions : trois réponses pour endiguer la concentration des richesses.
  • L’école, espace de possibles, doit être repensée : investissement ciblé dans les territoires défavorisés, soutien à la mixité scolaire, accès garanti à l’enseignement supérieur.
  • Le salaire minimum et la négociation collective peuvent soutenir le pouvoir d’achat et limiter la reproduction des inégalités dès le début de la vie active.

À ces leviers s’ajoute le combat contre les discriminations. Les obstacles rencontrés par les jeunes issus de minorités ou de quartiers populaires ne relèvent ni de la fatalité, ni d’un manque de mérite. La réponse passe par une alliance entre politiques publiques et initiatives locales. Le défi ne se limite pas à une question de moyens : il engage la volonté de toute une société.

L’innovation sociale, portée par certains territoires ou entreprises, trace d’autres chemins. Accès facilité au crédit, dispositifs de mentorat, accompagnement à la création d’entreprise : autant d’expériences qui, ici ou là, dessinent une brèche dans le mur des inégalités.

La courbe de Gatsby ne se contente pas de raconter une histoire. Elle met chacun face au miroir. Et si la prochaine génération n’était plus condamnée à vivre avec les clés d’un ascenseur bloqué ?